Le Message
Tout semblait calme autour de la planète Mars. Nous n’avions pas vu l’ombre d’un mantis depuis un bon moment. Pourtant, des mouvements de vaisseaux ennemis avaient été signalés à proximité de la porte stellaire ces derniers jours. Je me demandais si les autres pilotes avaient également ce sentiment étrange que quelque chose était en train de se préparer. Si nous avions la certitude que les mantis nous attaqueraient, nous ne savions ni quand, ni quelle planète serait leur première cible.
Comme beaucoup de jeunes pilotes, j’avais été affecté dans une escouade de pilotes plus expérimentés. L’officier, commandant l’escouade, et les autres pilotes avaient participé à la plupart des grandes batailles contre les mantis. J’appréciais leur présence rassurante et leur sagesse. Ils n’étaient pas très bavards mais chacun de leurs conseils m’était précieux.
Ce jour là, notre mission consistait à surveiller les mouvements mantis à proximité de la planète Mars, et nous attaquions une nouvelle révolution autour de la planète quand, rompant le silence du vaisseau, la voix implorante d’un homme sortit du communicateur. L’homme se présentant comme un colon, suppliait qui l’entendait de venir secourir sa famille. Avant qu’il ait eu le temps de nous indiquer où il se trouvait, la communication fut interrompue. L’officier tenta à plusieurs reprises de le contacter pour connaître sa position, mais il n’obtint aucune réponse.
J’entendis alors l’officier prendre contact avec le quartier général pour savoir si l’appel avait été localisé et quelles étaient les instructions. Malheureusement, la brièveté de l’appel avait seulement permit de déterminer qu’il provenait du système Mizar. En l’absence d’informations précises et d’ordre de l’état major, nous ne pouvions rien faire pour aider ce malheureux et sa famille.
J’enrageais de ne pas pouvoir porter secours à ces colons, quand la voix de l’officier retentit de nouveau dans le communicateur. Plusieurs escouades, dont la nôtre, venaient de recevoir l’ordre de se rendre dans le système Mizar, pour une mission de secours. Curieusement, nous ne disposions que d’une heure pour la mission, et nous devions enclencher tous nos dispositifs d’enregistrement, comme pour une mission de reconnaissance. Je compris alors que si l’état major avait autorisé cette mission, c’était aussi pour connaître les positions et les mouvements des mantis dans le système Mizar. Cela m’importait peu, l’essentiel était que nous allions porter secours à cette famille.
Nous firent rapidement route vers la porte stellaire, que nous franchîmes en compagnie d’autres escouades, et nous prîmes la direction de la planète Baumar. Chaque escouade, participant à cette mission, devait effectuer sa recherche sur une planète précise du système Mizar. Arrivés en orbite, l’officier ordonna que nous restions groupés, la planète grouillant de mantis, nous ne pouvions pas nous permettre de nous séparer.
Nous descendîmes sur la planète et débutâmes notre mission. La présence de nombreux mantis sur la planète rendait la recherche périlleuse et nous évitions, autant que possible, d’engager le combat. Après une heure de recherche sans résultat, l’officier ordonna la remontée en orbite, et nous informa que les autres escouades étaient également bredouilles.
Nous devions rentrer, et j’étais déçu de ne pas avoir pu trouver ces colons.
Nous venions à peine de prendre la direction de la porte stellaire, quand il me semblât percevoir une voix de femme sortant du communicateur et prononçant quelque chose comme « ... 67 ». J’interrogeais alors l’ordinateur pour en connaître l’origine, mais je n’en trouvais aucune trace. « Ce n’est pas possible » pensais-je.
Pour avoir le cœur net, je demandais aux autres pilotes s’ils avaient reçu la communication. Ils répondirent tous par la négative. Ne voulant pas admettre que j’avais pu être victime de mon imagination, je mis cela sur un dysfonctionnement du matériel et je réinitialisais le dispositif de communication. Le reste du vol se passa sans incident.
Nous attendions en orbite de la porte stellaire la dernière escouade qui revenait de la planète Ob, quand j’entendis de nouveau cette voix de femme qui semblait sortir du communicateur. Cette fois, je compris nettement « 41 67 ». Cela ressemblait à des coordonnées, mais je n’osais pas demander une nouvelle fois aux autres pilotes s’ils avaient reçu une communication.
J’avais la certitude que nous avions raté quelque chose, mais mes idées se bousculaient. Me prenant la tête entre les mains, j’essayais de me concentrer tout en me parlant à moi-même « On va me prendre pour un fou. Je ne sais même pas s’il s’agit de coordonnées ! Et quelle planète ? »
Alors que nous nous apprêtions à franchir la porte stellaire, je décrochais de l’escouade et prenais instinctivement la direction de la planète Baumar. Je fus le premier surpris par mon geste, ma réaction n’avait rien de logique.
J’allais enclencher le vol interplanétaire quand j’entendis gronder la voix de l’officier dans le communicateur. « Mais qu’est ce que tu fais? Reviens immédiatement en formation, c’est un ordre ». Je répondis en bredouillant « Je ne sais pas …. Je dois vérifier quelque chose. ».
Ce qui était vrai. Je ne pouvais pas partir sans vérifier ce qui se trouvait aux coordonnées que je croyais avoir entendues. L’officier, plus incisif, me lança « Tu veux vérifier quoi ? Reviens immédiatement ou ça va barder pour ton matricule ».
J’avais l’estomac noué, je risquais de sévères sanctions et je ne parvenais pas à me convaincre de faire demi-tour. J’eus juste la force de répondre « Je crois savoir où il est ». Il y eu alors un long blanc dans le communicateur et j’entendis alors la voix de l’officier me répondre d’un ton plus calme « Suis ton intuition, mais sois prudent ! ». Il n’en fallait pas plus pour me redonner confiance, j’enclenchais le vol interplanétaire et descendais à la surface de la planète Baumar dès mon arrivée.
Les vols interplanétaires et notre première recherche avaient bien entamé ma réserve d’énergie, et il ne me restait plus de 40% d’autonomie. Je devais faire attention de ne pas la gaspiller inutilement, et je m’appliquais à éviter les combats, comme les anciens de l’escouade me l’avaient appris. Après plusieurs minutes de vol et quelques postcombustions pour éviter les mantis, j’arrivais à proximité de la position 41/67. Ralentissant mon allure, je surveillais mon radar en espérant un signal du vaisseau du colon.
Par chance, la zone semblait calme et seulement deux mantis apparaissaient en périphérie de mon écran radar. Je me trouvais encore à bonne distance de la position 41/67, et je réfléchissais à la meilleure manière de contourner ces mantis quand leur attitude attira mon attention. En effet, ils restaient en position stationnaire, ce qui n’est pas dans l’habitude des mantis.
Curieux, je décidais de me rapprocher. Au bout de quelques secondes, je vis apparaître sur le radar un vaisseau de colon, mais également deux autres mantis. Je stoppais immédiatement ma progression pour ne pas être repéré, et je compris alors pourquoi les vaisseaux mantis restaient immobiles. Ils jouaient avec le vaisseau du colon comme un animal avec sa proie.
Je n’étais pas de taille à les affronter seul, et je ne savais pas si les colons étaient encore vivants. Les autres pilotes devaient désormais être dans le système Sol et je regrettais qu’ils ne soient pas à mes cotés. Cherchant à me donner du courage, je lançais alors sur le canal escouade un court message
« Besoin d’aide, position 43/70 sur Baumar » et je pris le parti d’essayer d’attirer les mantis vers moi pour gagner du temps.
Je commençais à avancer sur les quatre mantis quand une réponse de l’officier me parvint dans le communicateur « Tiens bon, nous sommes là ». J’avais à peine établi le contact visuel avec les mantis quand je vis arriver en postcombustion les quatre autres vaisseaux de l’escouade.
Plutôt que rentrer à Sol, l’officier et les autres pilotes avaient décidé de me suivre de loin pour m’épauler. C’étaient vraiment des sacrés pilotes, il ne leur fallu que quelques dizaines de secondes pour abattre les mantis et sécuriser le zone. M’approchant du vaisseau du colon, je constatais qu’il était en piteux état. La plupart des ses équipements devaient être détruits, ce qui expliquait l’absence de réponse à nos appels.
L’officier annonça alors qu’il prenait en charge le transfert des colons à son bord.
Après quelques minutes, L’officier repris contact « Nous avons un autre problème, j’ai récupéré les deux parents mais ils ont mis leur petite fille dans la capsule pour la protéger, et se sont éloignés pour attirer les mantis sur eux. Ils sont incapables de dire avec précision où elle se trouve et ils ont déconnecté la balise de la capsule pour qu’elle ne puisse pas être localisée par les mantis »
Un sentiment mêlé de rage et d’angoisse m’envahit alors. Je pensais à cette gamine seule dans une capsule à la merci des mantis.
Alors que l’officier discutait avec les autres pilotes sur la meilleure tactique à suivre, un sentiment étrange m’envahit. Quelque chose clochait. Cherchant un semblant de réponse sur le radar, je pris tout à coup conscience que nous avions trouvé le vaisseau des colons en position 43/71. Ce n’était pas la position que j’avais entendu. Je m’insérai alors dans la conversation des pilotes « Peut-être que ... », mais l’officier me coupa « vas-y, on te suit ».
Sans attendre, je fonçais vers la position 41/67. A ma grande joie, je découvris au visuel une capsule qui semblait en bon état. Euphorique, je me plaçais immédiatement au dessus de la capsule, prêt à la défendre bec et ongles, tout en hurlant dans le communicateur « Elle est là, elle est là, … ».
L’escouade me suivait de près, et ll’officier se plaça immédiatement près de moi, me donnant l’ordre de m’écarter pour collecter la capsule et réunir ainsi toute la famille.
Dès la capsule collectée, l’officier ordonna « On ne traine pas ici. Tous en orbite et direction la porte stellaire ».
Durant le voyage du retour, et malgré la joie d’avoir retrouvé ces colons, je sentais mon estomac se nouer de nouveau. J’avais désobéi à un ordre de mon supérieur et j’avais certainement mis toute l’escouade dans une position délicate vis-à-vis de l’état major. J’allais passer un mauvais moment
A peine étions arrivés nous en orbite de la planète Terre que l’officier m’annonça « Rejoins moi au QG dans trente minutes, le commandant veut nous voir ».
Je sentis comme un coup de massue. Je ne savais pas ce qui m’attendait et je devrais certainement justifier mes actes. Sans conviction, je consultais l’ordinateur de bord, mais je ne trouvais aucune trace des communications. « Je suis dans un sacré pétrin » pensais-je. Je sorti alors du vaisseau et pris la direction du QG.
Arrivé devant le QG, je vis mon chef d’escouade en conversation avec notre commandant. Il n’était pas fréquent de rencontrer directement le commandant, et lorsque cela devait se produire, ce n’était jamais bon signe.
Me voyant arriver, ils mirent fin à leur conversation, et le commandant, se dressant face à moi, me dit sèchement « Ce que tu as fait aujourd’hui est inadmissible! On n’abandonne jamais son escouade. La véritable force d’une escouade est la confiance qui existe entre ses membres. Les autres pilotes ont pris des risques en venant à ton aide alors que toi tu ne leur as pas fait confiance. Je laisse ton officier décider de la sanction»
Le sermon terminé, le commandant repartit vers l’intérieur du QG, me laissant seul avec l’officier.
Honteux et n’osant plus lever les yeux, j’attendais que l’officier m’annonce mon exclusion de l’escouade, quand il m’ordonna simplement « Allons à ton vaisseau ».
Arrivé à mon vaisseau, l’officier interrogeât l’ordinateur de bord à la recherche d’une éventuelle communication. « Je n’ai rien trouvé non plus, et pourtant je suis certain de ne pas avoir rêvé » hasardais-je. L’officier se retourna alors vers moi « La science ne peut pas tout expliquer. Il existe dans l’univers des forces qui relient tous les êtres vivants. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre …». J’étais déboussolé par sa réponse mais il ne me laissa pas le temps de réagir et, délaissant l’ordinateur de bord, il ajouta « Suis-moi, nous sommes attendus ».
Nous prîmes alors la direction du mess où je découvris que de nombreux pilotes fêtaient la réussite de la mission. L’officier se retourna vers moi et me lança « Oublie tout ça et amuse toi ». Puis m’abandonnant au milieu des festivités, je le vis rejoindre une table où se trouvaient les trois autres pilotes de notre escouade.
De là où je me trouvais, je voyais l’officier et les autres pilotes converser et jeter de temps en temps un regard dans ma direction. « Certainement qu’ils ne me veulent plus dans l’escouade et qu’ils discutent de ma sanction » pensais-je. Prenant alors mon courage à deux mains, et décidé à faire amende honorable, je pris la direction de leur table. « Je tiens à vous présenter mes excuses. Je n’aurai pas du agir seul et quitter l’escouade », dis je simplement.
L’officier regarda alors d’un air interrogateur chacun des trois autres pilotes qui opinèrent de la tête et se tournant vers moi me fit signe de m’assoir à leur table.
Je ne me souviens plus des détails de cette soirée. Habitué au jus de carotte, mon esprit s’est vite embrumé aux effluves des différents alcools de Lune, que les pilotes me présentèrent en guise de sanction. Ce dont je suis certain, c’est que ce jour là je suis devenu l’un des leurs, partageant désormais avec eux bien plus que le simple serment de pilote.